• path of glory ou les sentiers de la gloire

    path of glory ou les sentiers de la gloire

    Scénario : Stanley Kubrick, Carter Willingham et Jim Thompson, d'après le roman de Humphrey Cobb
    Directeur de la photographie : George Krause
    Musique : Gerald Fried
    Avec Kirk Douglas (le colonel Dax), Adolphe Menjou (le général Broulard), Ralph Meeker (Paris), George Macready (le général Mireau), Timothy Carey (Férol), Joseph Turkel (Arnaud)
    Durée TV : 1 h 26 min

    Lors de la guerre de 1914-1918, tandis que le conflit s'est enlisé depuis longtemps dans la guerre de tranchées, l'état-major français décide une offensive quasiment impossible sur la « colline aux fourmis ». Repoussé par le feu ennemi, le 701e régiment, commandé par le colonel Dax, doit se replier. Le général Mireau, chef de l'offensive, demande alors de traduire en conseil de guerre le régiment pour « lâcheté ». Malgré l'opposition de Dax, trois hommes tirés au sort seront condamnés à mort et exécutés. Dax avait entre-temps soumis au général Broulard, chef de l'état major, les preuves que le général Mireau avait fait tirer sur sa propre armée pendant l'attaque. Broulard révoque celui-ci et propose son poste à Dax en croyant que celui-ci avait agi par simple ambition. Dax refuse.

    Les Sentiers de la gloire est un best-seller de Humphrey Cobb datant de 1935. Après L'Ultime razzia, son troisième film, Kubrick voulut l'adapter. L'adhésion des producteurs fut emportée par le désir qu'eut Kirk Douglas de jouer le colonel Dax. Le film centre l'action sur les rapports entre Dax et les officiers, il laisse bien davantage en retrait les soldats eux-mêmes, sauf l'épisode de la reconnaissance dans le no man's land et le cas du caporal Paris, pour des raisons qu'on verra plus loin. Bien apprécié aux États-Unis - peut-être aussi parce que sa critique de l'armée, qui serait universellement valable, prenait pour cible explicite l'armée française - le film reçoit plusieurs récompenses. Mais il est chahuté en Belgique, soumis à une forte pression française, interdit en Suisse ; en France, il sera boycotté et ne sera pas même soumis à la commission de censure. Les cinéphiles iront le voir parfois en groupe en Belgique. Le film sortira en France dix-huit ans plus tard.
    Le film s'inspire de faits réels. Près de 2 000 soldats ont été réellement fusillés « pour l'exemple » par l'armée française au motif de « lâcheté devant l'ennemi ». Le général Revilhac a effectivement voulu faire tirer sur son propre régiment bloqué dans les tranchées lors d'un assaut impossible, puis il a fait exécuter quatre soldats en mars 1915, qui seront réhabilités en 1934. Même l'épisode du soldat sur une civière qu'on ranime pour le fusiller a bien eu lieu.
    Le film de guerre n'est pas isolé dans l'œuvre de Kubrick. Fear and Desire (1953), son premier opus, était déjà un film de guerre, et de Barry Lyndon (1975) à Full Metal Jacket (1987) en passant par Dr Folamour (1964) et, dans une certaine mesure, Spartacus (1960), ses films sont nombreux à mettre en scène des militaires. Quant à la violence en général, elle traverse toute son œuvre, Kubrick déployant une interrogation constante sur la mise en scène de cette violence (pensons à Orange mécanique comme à Eyes Wide Shut).
    Une thèse à valeur générique : une guerre de nulle part ?. Montrer que Les sentiers de la gloire sont un film à thèse implique de revenir sur les acquis de notre première partie : nous avons reconnu sans peine la description des sauvages assauts de la bataille de Verdun, une hiérarchie militaire qui correspond bien à l’idée que nous nous faisons des chefs obtus, voire sanguinaires, qui ordonnèrent les grands massacres de ces quatre années. Pourtant, et malgré ces apparences, l’objet du film n’est pas la Grande Guerre ; c’est la guerre comme phénomène général affectant les sociétés humaines. Tel est le niveau d’analyse de Kubrick . Bien que dotée d’effets concrets, toujours identiques, la guerre décrite dans Les sentiers est une guerre abstraite, la matrice de toutes les guerres réelles. S. Kubrick lui-même l’a affirmé, il avait d’abord pensé à situer son film dans un pays imaginaire. C’est sans doute la signification du choix d’un Kirk Douglas pour incarner le colonel Dax. En 1957, au sommet de sa gloire, et malgré son immense talent, Kirk Douglas, tellement américain, ne pouvait imaginer convaincre le public de l’époque qu’il incarnait un personnage français. On rappellera aussi que le tournage du film eut lieu aux studios Geiselgasteig, en Allemagne.

    Si le propos est général, pourquoi alors avoir choisi le contexte de la Première guerre mondiale ? On montrera aux élèves que le conflit de 1914-1918 a inauguré la plupart des caractères modernes de la guerre, jusqu’à une période très récente : guerre de conscrits, guerre de masse, « brutalisation », guerre industrielle, guerre totale etc. Analyste de « la » guerre, S. Kubrick pouvait ainsi faire un film sur la Grande guerre sans trahir un propos qu’il souhaitait universel.
    - Une guerre sans ennemi : L’ennemi intérieur. La guerre des Sentiers est une guerre qui surprend par l’absence de l’ennemi. A aucun moment nous ne verrons un soldat allemand. L’ennemi historique, l’ennemi des Français pendant la guerre est suggéré, pourtant, mais il ne porte aucune menace : c’est la jeune fille de l’avant-dernière scène, une victime, prisonnière ou réfugiée. S. Kubrick focalise le regard du spectateur sur une seule des parties en présence, sur le côté français, et il dissèque les effets internes de la guerre sur l’un des camps avec le regard d’un anatomiste. La malédiction de la guerre apparaît alors dans sa vérité : elle n’est pas la souffrance infligée par l’ennemi, mais le déchirement intime du corps social, entraîné dans une configuration schizophrénique qui oppose deux univers : celui des soldats du rang, celui des officiers. La guerre est une affection virale, cheminant comme une maladie dans un cerveau tourmenté, dont la métaphore pourrait être le cheminement de Mireau dans le labyrinthe de la tranchée, au début du film. L’ennemi est un ennemi intérieur. La guerre est une mutilation de soi-même. Le choix de ne montrer qu’une des parties en conflit s’éclaire parfaitement. Il arrive même, lorsque le général Broulard donne un bal, où l’on tourne sur des valses viennoises, que l’identification entre l’ennemi historique et l’ennemi intérieur devienne parfaite, suggérant que seul le second mérite pleinement notre défiance.

    La déshumanisation des soldats, l’épanouissement des vices des officiers

    Toute guerre est ainsi d’abord une guerre contre soi-même ; une société s’y fragmente, une personnalité s’y dissocie. Ainsi la guerre nie-t-elle l’humanité des hommes : lors de la reconnaissance de nuit, les trois hommes rampent à terre comme des insectes, dans cette zone dévastée qu’on nomme parfaitement le no man’s land : le territoire qui n’appartient à personne, certes, mais aussi cette terre désertée par les hommes, où l’on ne rencontre plus nulle humanité. La comparaison des hommes avec les insectes est explicite lorsque les trois boucs émissaires se retrouvent en cellule, dans l’attente de l’exécution : Le soldat Paris promis au peloton, se compare à un cafard, à l’avantage de celui-ci qui vivra plus longtemps que lui. L’ironie dérisoire de son camarade, qui écrase l’animal en disant à Paris « qu’il a repris l’avantage » ne fait que souligner la comparaison. Cette privation d’humanité caractérise d’ailleurs aussi « l’ennemi » et l’on se souvient que la position adverse, l’objet de l’attaque manquée était la « colline des fourmis ». Les allusions transparentes à des formes de vie inférieures sont constantes dans les Sentiers, à la fois langagières et iconographiques (la reptation des soldats envoyés en reconnaissance). A la négation de la dignité des hommes du rang répond l’épanouissement des vices des officiers, ou l’expression libérée de leur névrose. La guerre selon Kubrick ressemble beaucoup au totalitarisme selon Raymond Aron, qui lui reprochait de « favoriser l’épanouissement de tous les vices de l’humanité ». Le général d’armée Broulard, sous ses dehors patelins et conciliants, est un dangereux animal politique, dont toute la conversation est faite de menaces à peine voilées et d’un cynisme absolu, que Dax finira par lui jeter à la face. C’est un carnassier rompu aux intrigues, donnant libre cours à ses pulsions sadiques dans le cadre parfaitement adapté de ses fonctions. Le général de brigade Mireau, dissimulé derrière son patriotisme sans concessions et un courage physique sans doute réel, est un authentique malade, un paranoïaque qui restera convaincu jusqu’au bout d’être le seul de toute cette histoire à n’avoir strictement rien à se reprocher. Dax est le seul officier supérieur s’attirant la sympathie du spectateur, comme le respect de ses hommes. C’est qu’il a très tôt choisi leur camp, c’est qu’il vit et dort avec eux, dans la tranchée.

    Le temps de guerre : La suspension de la morale ordinaire

    Désormais, la thèse centrale peut se déployer : pour Kubrick, le temps de guerre est un temps d’exception, un temps qui donne au mensonge la force institutionnelle qui est celle de la vérité en temps de paix, un temps qui suspend la morale ordinaire.

    Les réactions à la sortie du film

    On sait que le film n’est pas sorti en France en 1957, qu’il n’est devenu visible par le public français qu’en 1975, et qu’il n’a été programmé à la télévision, sur la chaîne Arte, et fort tard dans la soirée, qu’en 1991. Le film n’a pas été censuré, contrairement à une légende tenace, mais on a seulement omis de le présenter à l’obtention du visa de publication, une certification sans laquelle aucune projection publique n’était possible. En revanche, le film fut projeté en Belgique, brièvement, avant d’être retiré des écrans sur décision administrative. En effet, à l’occasion d’une représentation, des anciens combattants (de quelle guerre ?) avaient pris à parti des spectateurs ; ceux-ci avaient répliqué, et l’on en était venu aux mains. C’est dire que, en 1957, le film s’inscrivait dans une histoire qui restait fort présente à l’esprit des anciens combattants qui provoquèrent les échauffourées, mais peut-être aussi à celui des spectateurs qui estimèrent important de leur répondre avec virilité. De ce point de vue, Les sentiers, en 1957, étaient bien un film « historique », qui s’inscrivait dans une histoire politique et passionnelle. Cette historicité fut d’ailleurs jugée suffisamment claire pour qu’on suspende les projections. En France, l’historicité des Sentiers, entendue dans ce sens, avait été suffisamment perçue pour que personne ne mette trop de zèle à réparer la bourde fortuite qui avait soustrait le film aux procédures d’autorisation. Bref, en 1957, la guerre de 1914-18 n’avait pas encore le statut de celle de cent ans : il restait difficile d’en parler avec la liberté totale que prenait Kubrick.

    La « censure » et ses raisons

    L’historicité des Sentiers peu encore s’entendre autrement, et la censure déguisée dont il fit l’objet. Guerre de nulle part, avons-nous dit. Sans doute. Mais aussi métaphore et matrice de toutes les guerres. En 1957, la France avait des raisons parfaitement identifiables de ne pas souhaiter qu’un public trop vaste vît le film de Kubrick. A cette date, les « événements » d’Algérie avaient commencé depuis 1954, et la guerre était devenue la grande affaire de la quatrième République impuissante. Comme la guerre de quatorze et comme celle que montrait Kubrick, c’était une guerre d’appelés du contingent, qui suppléaient les troupes de carrière trop peu nombreuses ; comme elle, c’était une guerre qui se cachait et qu’on cachait en recourant à une propagande éhontée. En quatorze aussi la propagande était devenue un mode de gouvernement ; elle avait d’ailleurs annexé le cinéma naissant. Enfin, la mise en cause du commandement à laquelle se livrait Kubrick pouvait faire soupçonner les responsables des opérations de 1957. Bref, Les sentiers de la gloire ne sont pas un document d’histoire, c’est un texte idéologique qui n’a pas la valeur d’une analyse historique, ou alors très partielle ; mais les contemporains lui ont donné une signification historique très claire, en le chargeant de leurs préoccupations politiques du moment. Non pas « film d’histoire », il s’agit bien, au moment de sa réception, d’un film qui implique une histoire. On aura garde aussi de mentionner que Kubrick, réalisateur américain, réalisa Les sentiers de la gloire quatre ans après la fin de la guerre de Corée, premier conflit militaire de grande ampleur de la guerre froide, et que cette conjoncture, à n’en pas douter, n’est pas sans signification quant à l’historicité du film

    « Le soldat est fascinant parce que toutes les circonstances qui l'entourent sont chargées d'une sorte d'hystérie. Malgré toute son horreur, la guerre est le drame à l'état pur car elle est une des rares situations où des hommes peuvent se lever et parler pour les principes qu'ils pensent leurs. Le criminel et le soldat ont au moins cette vertu d'être pour ou contre quelque chose dans un monde où tant de gens ont appris à accepter une grise nullité, à affecter une gamme mensongère de pose afin qu'on les juge normaux... Il est difficile de dire qui est pris dans la plus vaste conspiration : le criminel, le soldat ou nous. »

    Stanley Kubrick The New York Times magazine, 12 octobre 1958

     
    « J'aurais préféré que les hommes soient des soldats américains, mais rien de comparable aux mutineries de tranchées qui ont eu lieu dans les Flandres en 1917 dans l'armée française et dans l'armée britannique n'est arrivé aux Américains. [...] Alors pourquoi pas des troupes britanniques ? C'est aussi très simple. On ne peut pas faire parler l'anglais à des acteurs américains : ni en Angleterre ni aux États-Unis les gens n'y croiraient, et ils ne peuvent pas non plus parler l'Américain et passer, en Angleterre ou aux États-Unis, pour des soldats britanniques. Alors pourquoi ne pas prendre des acteurs britanniques ? Nous étions obligés d'avoir des interprètes américains pour obtenir le financement des sociétés de distribution américaines.
    Pourquoi pas les Allemands ? En faire une histoire de l'armée allemande ? Cela aurait été absolument incompatible avec le thème de l'histoire, qui tirait son ironie d'un acte inhumain accompli au nom de la nécessité : "La fin justifie les moyens", "Il faut gagner la guerre." Je ne crois pas qu'en dehors de l'Allemagne il y aurait eu un public pour se laisser émouvoir par un tel argument, si les troupes avaient été allemandes.
    Mon but en faisant ce film était de faire un film anti-guerre (encore qu'une pareille simplification des thèmes et des histoires paraisse toujours un peu absurde) et si c'est la France qui a été choisie, c'est pour les raisons que je viens de dire. »

    Stanley Kubrick, lettre à L'Express, 5 mars 1959       http://www.youtube.com/watch?v=9kVGugtFpGc http://www.youtube.com/watch?v=0DHhTjiVlF4 http://www.youtube.com/watch?v=gPtVNDvwGMo http://www.youtube.com/watch?v=dm_vmkb4Ca0

    Cette démarche de l’enseignant rencontre d’ailleurs celle du réalisateur, lorsqu’il prend l’histoire pour théâtre de son œuvre. Ce dernier a lui-même fait l’effort de reconstitution documentaire qui doit accréditer le contexte où se déploieront son intrigue et ses choix esthétiques. Dans le cas de S. Kubrick, l’attention portée au moindre détail, la précision de la reconstitution sont même au cœur du travail artistique,

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  • Commentaires

    1
    Mercredi 30 Juin 2021 à 12:40
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